50 nuances de neige

Parfois les algorithmes ont du bon. En faisant des recherches pour mon dernier billet sur le roman Les Graciées / The Mercies, je ne sais plus trop comment, je suis tombée sur Fifty words for snow

Un coup d’oeil aux critiques, au graphisme de la couverture, l’attrait d’une maison d’édition anglaise inconnue, et le sort était scellé: ce « hardback » allait rejoindre ma Petite Bibliothèque boréale.

Son auteur, Nancy Campbell, est un poète engagé un peu par hasard dans la lutte climatique, à la suite d’une résidence d’artiste dans le musée le plus au Nord au monde à Upernavik dans le Groënland en 2010. Le livre est une suite de réflexion sur une double disparition: celle de la neige et de ses différents états, et celles des mots pour les décrire dans des langues aussi diverses que le Sami, le Cherokee, le Swahili, le Maori ou le Finnois.

Il faut aimer la neige, le froid et les langues pour plonger avec délice dans ces histoires courtes, ces contes ou ces réflexions à caractère ethnologique et linguistique. Dans certains pays, la neige est une évidence et elle est inscrite, polymorphe, au plus profond des mots. Dans d’autres, elle est comme un mythe : ainsi, le mot existe bien en langue thaï où la légende veut qu’il ait neigé un certain 7 janvier 1955.

Difficile de faire un choix parmi ces cinquante mots, et puis je ne voudrais pas « spoiler » votre lecture, ou plutôt faire fondre prématurément le plaisir de les découvrir un à un . J’en choisirai donc seulement deux, et pour le troisième je vous proposerai d’essayer de deviner son sens et son origine.

« Smoor » = to perish in a snowdrift

Ce mot écossais décrit le fait de mourir dans une congère. On dirait que le son du mot « mort » en français s’est fondu pour ne faire plus qu’un avec le mot « snow ». Il était beaucoup utilisé par les bergers du nord de l’Ecosse lors des durs mois passés dans la lande entre la saison de la saillie des brebis fin novembre et la naissance des agneaux au printemps.

Au XVIII ème siècle, durant les très rudes hivers écossais, trouver un abri pour son troupeau n’était pas une mince affaire. Faute de temps, à cause de tempête de neige ou de brouillard, certaines bêtes ne pouvaient plus avancer et bergers et troupeaux pouvaient accidentellement se trouver « smoored » et mouraient étouffés dans une congère.

« Avalanche »

Et oui, un petit chapitre est consacré à ce mot français et là aussi, j’y ai appris quelque chose: Nancy Campbell nous en livre l’étymologie. Le mot est dérivé du mot « valanche » en dialecte alpin, lui-même influencé par le mot « avaler » qui en vieux français signifiait « descendre ». Il est passé dans l’usage avec le développement du Grand Tour que faisait les anglais, Grand Tour qui a donné naissance au « tourisme ».

On y lit aussi que 1950-1951 fut appelé « L’hiver de la Terreur » dans les Alpes où on dénombra plus de 600 avalanches qui firent 265 victimes.

Je vous rassure, tous les mots recensés dans le livre ne sont pas aussi morbides et voici venu le moment des devinettes :

« Fokksnø »

De quel pays vient ce mot et que signifie-t’il? Un indice: le prononcer tout haut vous donnera sans doute une partie de la réponse… A vous de jouer, j’attends vos suggestions et vous donnerai la clé dans les prochains jours !

Les Graciées / The Mercies

C’est la nuit du solstice de l’an 1617 sur l’île de Vardø, dans le comté de Finnmark à l’extrême Nord de la Norvège. Maren, vingt ans, vit sur cette île. Elle fait un rêve prémonitoire dans lequel elle se sauve de la noyade accrochée au ventre d’une baleine. Pendant la même nuit, une tempête d’une extrême violence ravage le port de Vardø et emporte tous les hommes de l’île partis pêcher.

Les Graciées est un roman de la jeune auteur britannique Kiran Millwood Hargrave que j’ai plaisir à rajouter à ma Ma petite bibliothèque boréale, 1ère partie. et qui était tout en haut de Ma « PAL » pour 2021.

Les « Graciées » sont toutes les femmes restées à terre et que la tempête a épargnées : il y a Maren, bien-sûr, qui a perdu son père, son frère et son promis dans le naufrage. Elle vit avec sa mère et sa belle-soeur, l’étrange Dinna , une Saami, qui avait épousé Erik, le frère de Maren. Et bien d’autres femmes qui se rangent en deux catégories : celles qui prennent les choses en main, enfilent les pantalons de marin, et celles qui prient… Le seul homme sur l’île c’est le pasteur, un petit homme sans charisme qui rassemble tant bien que mal ces femmes une fois par semaine pour l’office.

Quand au bout de trois jours la mer rend les corps de tous les noyés, Vardø est plongé dans l’hiver polaire. Impossible d’enterrer les hommes, il faut juste déposer les dépouilles dans une des maisons en attendant que la terre soit de nouveau assez meuble pour creuser des tombes. Dans cette saison qui s’éternise, des divisions profondes apparaissent entre celles qui veulent un enterrement chrétien et celles qui suivent des rituels saami.

Cette terre reculée n ‘appartient vraiment ni à la Norvège ni aux Saami, plus connus sous le nom étranger et péjoratif de « Lapons  » (qui signifie « vêtus de haillons en suédois…) les rites chamaniques sont fréquents, et on en retrouve des traces sur les murs ou à l’intérieur des maisons: runes, statuettes d’os, broderies de symboles cachés dans les doublures des vêtements...

C’est pour éradiquer toute cette « sorcellerie » qu’est nommé le délégué Absalom Cornet venu d’Ecosse où il est connu pour avoir érigé un grand nombre de bûchers et torturé beaucoup de femmes « impies ». Mais sa réputation là-bas est bien gardée et ignorée de tous sur l’île, y compris de sa femme, Ursula, qu’il a trouvée à Bergen juste avant d’embarquer pour Vardø. Ursa est jeune et innocente: éduquée dans le confort bourgeois de Bergen, elle ne sait rien ni des hommes ni des tâches qui incombent aux femmes au foyer.

Ce qu’il y a de plus poignant et réussi c’est le récit de la rencontre des deux jeunes femmes, Maren et Ursa. Ursa va tout apprendre de Maren: comment coudre un manteau avec des peaux de rennes, comment découper les carcasses, faire du feu, du pain … Au gré de ces tâches partagées, avec beaucoup de pudeur et de lenteur Kiran Millwood Hargrave nous dévoile les sentiments qu’elles vont éprouver l’une pour l’autre, à leur grande surprise. La description des paysages désolés de l’île en hiver, et de l’éclosion du printemps sur la lande m’a aussi transportée, loin, bien loin.

Ce qui rajoute au tragique de ce premier roman pour adultes ( Hargrave est plus connue dans la littérature enfantine) c’est qu‘il est en partie historique : la tempête a vraiment eu lieu dans les années 1620 et a bien décimé les hommes de l’île, et la chasse aux sorcières a été d’autant plus sévère que ces terres lointaines échappaient au contrôle de Copenhague, laissant libre court à la cruauté et au fanatisme des hommes de dieu qui y étaient envoyés en « mission ». Ici, comme dans d’autres contrées septentrionales ou équatoriales, des peuples ont été massacrés à cause de leur culture, de leurs rites et de leurs croyances.

En 2012, l’artiste Louise Bourgeois et l’architecte Peter Zumthor ont installé à Vardø le Mémorial de Steilneset en hommage aux victimes: 91 personnes, hommes et femmes, sont morts sur le bûcher de l’île au 17ème siècle.

Le Mémorial

Titre: Les Graciées (The Mercies)

Auteur: Kiran Millwood Hargrave

Traduction : Sarah Tardy

Editeur : Robert Laffont

Parution: 2020

Ohé, du bateau! Carnetier, carnetière…

Je vous ai manqué j’espère ? J’ai manqué de régularité: mon dernier billet date d’il y a un mois et demi, mais dans cet intervalle vide en apparence j’ai réfléchi aux sens si différents que nous donnons au mot « blog ». Déjà, il y a du boulot à faire sur le lexique, cet anglicisme ne me plait pas. Ceux qui me connaissent un peu savent à quel point j’aime l’anglais (j’en ai même fait un de mes métiers). Mais c’est justement parce qu’on aime et connaît une langue qu’on supporte mal de la voir galvaudée, utilisée par défaut dans une autre langue comme si cette autre langue avait besoin de béquilles.

J’ai fait quelques petites recherches et me suis régalée devant les trésors d’imagination déployée pour contourner, remplacer le mot « blog ». Je vous livre ici une petite liste trouvée sur Wikipedia.

« Le vocabulaire intuitif potentiel est vaste et participe à l’engouement autour du phénomène : blogage, blogable, bloguitude, moblog, blogiciel, audioblog, vidéoblog, photoblog, blogogeoisie ou « blogeoisie » (terme désignant les blogueurs dont les sites sont très visités), bloguien, carnetier/carnetière, carneter (le verbe), carneticiel, carnetable, carnetage, carnetodépendance, carnetosphère, audiocarnet, vidéocarnet, photocarnet, carnetiquette, blook (blouquin), etc. »

Inutile de vous dire que je préfère la fin au début ! Toutes les déclinaisons autour du mot carnet m’enchantent, et le terme « carnetière » tout particulièrement. Il évoque pour moi une louve qui dévorerait ses carnets ! Comme moi vous avez peut-être dans vos tiroirs toute une collection de carnets, certains terminés, d’autres à peine entamés, et d’autres enfin achetés ici ou là, au gré de voyages à l’étranger ou à la librairie du coin… Les carnets « au cas où », les carnets qui portent en germe les poèmes ou le roman que vous écrirez… un jour, les esquisses qui deviendront estampes, un jour…

Mais l’autre caractéristique qui me semble parfois un peu oubliée sur l’immense toile, le grand fourre-tout numérique, c’est l’étymologie du mot anglais. Ou devrait-on plutôt parler de racine, quand on sait que le premier sens de « log » est une bûche de bois ?

« Record of observations, readings, etc., » originally « record of a ship’s progress, » 1842, sailor’s shortening of log-book (1670s), the daily record of a ship’s speed, progress, etc., which is from log (n.1) « piece of wood. » The book so called because it recorded the speed measurements made by means of a weighted chip of a tree log on the end of a reeled log line (typically 150 to 200 fathoms). The log lay dead in the water, and sailors counted the time it took the line to play out. The line was marked by different numbers of knots, or colored rags, tied at regular intervals; hence the nautical measurement sense of knot (n.). Similar uses of the cognate word are continental Germanic and Scandinavian (such as German Log). General sense « any record of facts entered in order » is by 1913. »

It [the log-book] is a journal of all important items happening on shipboard, contains the data from which the navigator determines his position by dead-reckoning … and is, when properly kept, a complete meteorological journal. On board merchant ships the log is kept by the first officer: on board men-of-war, by the navigator. [Century Dictionary, 1897] »

Cette citation nous raconte que le « log » (morceau de bois) était un journal de bord dans un bateau mais c’était d’abord un instrument de mesure . Les marins utilisaient en effet une pièce de bois lestée et une bobine de corde sur laquelle étaient noués des chiffons de différentes couleurs . La vitesse à laquelle la corde à « noeuds » se déroulait donnait une indication de la vitesse du bateau et a donné naissance à l’unité de mesure en noeuds nautiques.

Finalement, le « web » est entré dans nos vies et avec lui le mot « weblog » bientôt écourté en « Blog ». Si je n’aime pas l’utilisation du mot en français, la genèse du mot anglais m’embarque au loin, en mer et j’aime l’idée que ces carnets de bord, de bouts de vie servent encore à recueillir l’écume des jours.

En mer, au loin, au nord du cercle polaire dans un pays de marins dont je vous parlerai dans mon prochain billet consacré au roman LES GRACIEES (The Mercies) qui scande mes fins de journées et berce mes nuits depuis quelques jours…

A bientôt!

Ma « PAL » pour 2021

J’ai pas mal fréquenté d’autres blogs de lecture ce mois-ci alors que je participais à #monaventlitteraire 2020. J’y ai fait de belles découvertes et aussi rajouté un mot à mon vocabulaire, un nouvel acronyme : PAL pour Pile (de livres) A Lire.

En cette fin d’année, tandis que les bilans de lecture 2020 et les rétrospectives en tout genre remplissent l’espace, je préfère user de ce mot tout neuf et vous parler de ma « PAL » 2021.

C’est l’avantage quand on se met à fréquenter de nouveaux blogs, on fait de belles rencontres littéraires, comme si on parlait à un libraire dont on ne connaît ni le fonds ni les marottes.

Voici donc une première liste / pile de livres pour 2021, livres que je voudrais lire sans être confinée si possible, puisque l’heure est aussi aux voeux pour l’année qui vient !

4 écrits ou traduits en français, et 4 en anglais. Comme à mon habitude, je vais alterner les lectures en français et et anglais. Les titres des 4 livres en anglais sont, dans l’ordre: Les graciées, Nos espérances, Se cacher pour l’hiver et La Rivière en hiver. Comme on le devine d’après les titres, beaucoup de ces livres viendront se ranger dans ma bibliothèque boréale dont vous pouvez découvrir quelques titres ici Ma petite bibliothèque boréale, 1ère partie. et là : Ma petite bibliothèque boréale, partie II.

Et vous, que me suggéreriez-vous comme lecture ? Hâte de lire vos recommandations…

Ma petite bibliothèque boréale, partie II.

Pour prolonger un peu les sensations après notre premier voyage en hiver au Québec, en transit entre les deux continents j’ai lu le tout petit roman de Jean Désy: « Le coureur de froid ». La jeune femme à la caisse du Musée national des Beaux-arts du Quebec m’avait prévenue: vous avez choisi des beaux livres pour emporter le froid dans vos bagages.

Le coureur de Froid c’est ce médecin qui se perd volontairement au coeur de la taïga du Nunavik. Cette perte est aussi une quête, un renouveau. Jean n’en peut plus de son pavillon de banlieue, et ses escapades en forêt avec sa fille Marie ne suffisent plus à donner un sens à sa vie. Alors il quitte ce qu’il appelle « Le Grand Sud » pour son antipode.

C’est encore un livre de survie comme je les aime. Si vous avez aimé « Dans la Forêt » de Jean Hegland (https://lapoudredestampette.wordpress.com/2017/05/18/gravures-dernieres-lectures/ou « Dans les Forêts de Sibérie » de Sylvain Tesson ( https://lapoudredestampette.wordpress.com/2017/12/27/lecture-de-fin-dannee/ alors vous apprécierez ces pages.

Et puis il y a la rencontre avec Max, le renard des neiges, qui sauvera la vie de Jean en lui montrant le chemin jusqu’à la cabane au bord du lac après des jours d’errance. Un clin d’oeil à St Ex qui aurait perdu sa boussole et aurait fait cap au Nord.

Juste avant le départ, j’avais lu « Frère de glace » d’Alicia Kopf (« Germa de Gel », traduit du catalan). Obsédée par les explorations polaires et les étendues du Grand Nord, l’auteure-plasticienne les transcrit au travers de dessins, photos et textes mêlés. Au coeur de ce roman se trouvent un garçon autiste et sa soeur artiste, tous deux figés dans la glace de l’incommunication.

Un extrait:

La glace rétrécit les vaisseaux sanguins qui apportent le sang dans la zone blessée.(…) Autrement dit, le froid calme la douleur des coups. C’est peut-être de là que provient la préférence des âmes tourmentées pour les endroits gelés : la paix de la neige qui tombe. L’indifférence des montagnes. Le début et la fin de Frankenstein au Pôle Nord.

Pour refermer temporairement la porte de ma bibliothèque venue du froid, voici L’OURS un roman publié en France aux éditions 10/18 et traduit de l’anglais. Il reste le roman le plus connu de Marian Engel, écrivain canadien.

Lou, bibliothécaire et archiviste de Toronto, célibataire et timide, s’ennuie dans un institut poussiéreux. Mais son directeur l’envoie sur une île dans le nord de l’Ontario pour cataloguer la collection de livres anciens de feu le colonel Jocelyn Cary.

En faisant le tour de l’île et des rayons de la bibliothèque de la maison où elle est logée, elle perçoit la présence d’un ours. Ce roman court et intense a fait scandale à l’époque (1976) pour les pages où Engel décrit l‘éveil à la sensualité de la jeune femme au contact du monde sauvage.

Si en ce début d’hiver vous avez envie de vous plonger davantage dans ce genre de littérature et de voyager dans des contrées septentrionnales, je vous invite à lire aussi mon autre billet :Ma petite bibliothèque boréale, 1ère partie.

Hyacinthe et Rose

Un livre pour finir en beauté #monaventlittéraire2020

Ces deux prénoms de fleurs sont ceux des grands-parents de l’auteur, François Morel.

L’auteur nous raconte ses souvenirs d’enfance dans ce grand album magnifiquement illustré par les peintures de Martin Jarrie. L’oeil va de ravissement en ravissement, oscillant entre des textes parfois tendres, parfois mordants, et les fleurs en grand format sur la page de droite.

Tout sépare Hyacinthe et Rose, sauf l’amour des fleurs :

« C’est bien simple : Rose et Hyacinthe, mariés depuis quarante-cinq ans, ensemble depuis toujours, ne s’entendaient sur rien. Hyacinthe était coco, Rose était catho. Hyacinthe aimait boire, Rose aimait manger. Hyacinthe aimait la bicyclette, la pêche à la ligne, le vin rouge, la belote et les chants révolutionnaires. Rose préférait les mots croisés, le tricot, l’eau de mélisse, les dominos et les cantiques. Hyacinthe aimait traîner… à table, au lit, au bistrot, avec les copains, sur un banc, dans un champ, sur les talus, à observer les nuages… « Tu n’es qu’un Traînard », lui disait Rose qui était toujours la première debout, la première couchée, la première assise à table, la première levée de table, le repas à peine terminé déjà devant l’évier à nettoyer la vaisselle. « Madame Gonzales » l’avait surnommée Hyacinthe. En souvenir de Speedy.

Ils avaient dû s’aimer mais c’était il y a longtemps.

Il est même probable qu’ils aient pu faire l’amour. L’existence d’une descendance de douze enfants, de neuf petits-enfants le laisserait fortement supposer… »

La plupart des scènes se déroulent dans le jardin des grands-parents, dans l’Orne, où l’auteur passaient ses vacances. Ses souvenirs nous ramènent vers la fin des années 60 ou 70, dans un monde où flotte  » le parfum de l’enfance, l’envie que le monde soit ouvert, généreux, coloré, porteur de promesses et de beauté. « 

Ainsi, la description des blouses en nylon de Rose m’a rappelé plein de belles choses sur ma mère et mes grands-mères aussi :

Ses blouses étaient également fleuries mais en nylon. Le nylon était aux yeux de ma grand-mère le symbole même de la modernité. Les spoutniks qu’on envoyait dans le ciel l’indifféraient. Les transplantations cardiaques la laissaient de marbre. L’arrivée de la télévision en couleur ne l’avait pas spécialement bouleversée… Mais l’apparition du vêtement en nylon avait changé sa vie. « C’est pratique, c’est beau, ça se lave bien et en plus ça sèche en un rien de temps… »

Les blouses en nylon étaient ce qui donnait à ma grand-mère confiance en l’avenir, des raisons d’espérer.

Pour « finir en beauté » ce défi littéraire, voici la photo du Chapitre 2 qui tient en trois lignes que je vous donne à lire ici:

Tous les souvenirs, toutes les sensations, toute la connaissance, toutes les émotions que je garde de mes grands-parents sont liés aux fleurs. Toutes mes pensées…

Et c’est avec cette rose que

je vous souhaite un très joyeux Noël

ami lecteur, ami blogueur.

Moi, ce que j’aime c’est les monstres (Joker: le livre inclassable)

#monaventlittéraire2020, avant dernier jour !

Vous avez sans doute entendu parler de ce roman graphique d’Emil Ferris qui laisse rarement indifférent: soit on aime, soit on déteste. J’ai mis longtemps à rentrer dans son univers si particulier. Ce qui m’a attirée c’est d’abord le dessin et les choix graphiques qui rendent vraiment cet album inclassable. On en attendrait pas moins de la maison d’édition Monsieur Toussaint Louverture qui l’a publié en France :

L’auteur imite le dessin au stylo bille bleu d’une écolière artiste, Karen, 10 ans, l’héroïne du roman qui se prend pour une louve-garou vêtue d’un trench de détective et qui raconte l’histoire dans son carnet intime reproduit avec ses marges, ses lignes et même sa spirale mais la BD mêle plusieurs genres : roman noir, journal intime et livre fantastique, entre autres. Pour l’histoire, voici ce que nous dit la 4ème de couverture :

"Chicago, fin des années 1960. Karen Reyes, dix ans, adore les fantômes, les vampires et autres morts-vivants. Elle s'imagine même être un loup-garou: plus facile, ici, d'être un monstre que d'être une femme. Le jour de la Saint-Valentin, sa voisine, la belle Anka Silverberg, se suicide d'une balle dans le cœur. Mais Karen n'y croit pas et décide d'élucider ce mystère. Elle va vite découvrir qu'entre le passé d'Anka dans l'Allemagne nazie, son propre quartier prêt à s'embraser et les secrets tapis dans l'ombre de son quotidien, les monstres, bons ou mauvais, sont des êtres comme les autres, ambigus, torturés et fascinants. Journal intime d'une artiste prodige, Moi, ce que j'aime, c'est les monstres est un kaléidoscope brillant d'énergie et d'émotions, l'histoire magnifiquement contée d'une fascinante enfant. Dans cette œuvre magistrale, tout à la fois enquête, drame familial et témoignage historique, Emil Ferris tisse un lien infiniment personnel entre un expressionnisme féroce, les hachures d'un Crumb et l'univers de Maurice Sendak."

Voilà, le décor est planté. Il me reste à vous montrer une planche pour que vous vous fassiez une idée du style graphique et vous comprendrez pourquoi j’ai sans hésité choisi Moi,ce que j’aime c’est les monstres comme le joker de ce défi littéraire qui se termine demain. Dernière chose : c’est aussi un livre inclassable par son poids -1kg5 – qui ne permet pas de lecture dilettante dans le métro ou vautré dans son lit. Le papier reprend ses droits et c’est bien assis à sa table ou son bureau qu’on peut lire ce pavé. Une BD qui se mérite.

Jour 22 : L’herbier fantastique (le livre le + original)

#monaventlittéraire2020… c’est presque fini !

Je ne sais pas vous mais à la longue je me lasse de ce jeu. Présenter un livre par jour du 1er au 24 décembre, soit. Mais tous ces superlatifs me fatiguent. Malgré tout, je joue le jeu en vous parlant aujourd’hui d’un livre vraiment original que j’avais trouvé une année lors de la bourse aux livres du Museum de Toulouse. Il se présentait dans un coffret d’aspect vieilli, un peu abîmé, renfermant 40 ans de recherches botaniques d’un certain Irénée Cornélius.

Le livre s’ouvre sur un article du journal L’Aurore daté du 25 juillet 1914, nous apprenons la disparition d’Irénée :  » l’employé du Museum d’Histoire naturelle n’a pas reparu depuis trois semaines.  » C’est le début d’une aventure qui regroupe dans sa boite 27 fac-similés, tous aussi fantastiques les uns que les autres. On découvre des coupures de journaux, des dessins, des photos, des expériences scientifiques, des plantes carnivores…

Voici ici un lien qui devrait vous donner un aperçu de l’objet et l’envie de le trouver, bien que beaucoup de sites indiquent que , telle une espèce en voie d’extinction, il serait épuisé: https://fr.calameo.com/read/0045179726ec86ab12e01

A propos des auteurs : ils sont deux. L’écrivain, Lionel Hignard est né en 1951. « Après une première année d’études de cinéma, il se tourne vers la culture et la distillation des plantes aromatiques et médicinales. Il rejoint l’éducation à l’environnement en 1983 où il se consacre à l’étude des plantes usuelles et publie ses premiers ouvrages en 1995.  »

Dans le reste de l’article que j’ai trouvé sur lui, j’apprends qu’ il anime des ateliers d’écriture et occupe aujourd’hui le poste d’animateur formateur au sein de jardins partagés à Tournefeuille près de Toulouse. Quel heureux hasard ! Je suis membre de l’association de ces jardins partagés qui sont tout près de chez moi, je vais pouvoir me renseigner et peut-être rencontrer ce monsieur, participer à ses ateliers d’écriture, qui sait? Voilà de bien belles perspectives pour 2021 quand les animations reprendront. J’ai une amie que ça pourrait intéresser aussi !

Le deuxième, c’est Camille Renversade, un jeune illustrateur de talent. Son nom évoque un personnage de Balzac, il est diplômé de la fameuse école de dessin Emile Cohl de Lyon et il « aurait aimé faire partie de ces expéditions, composées de scientifiques, chercheurs, photographes, dessinateurs qui, jusqu’à la fin du XIXe siècle partirent à la découverte de nouvelles contrées éloignées à la recherche d’animaux ou de plantes inconnues.
Il se tourne vers les seuls êtres qui restent encore à découvrir, les animaux fantastiques, tels le yéti, les monstres marins, et autres dragons et la seule science qui leur soit consacrée : la cryptozoologie.« 

Tout cela est bien mystérieux et rajoute encore au charme inédit de ce livre inclassable…et introuvable sauf si vous avez vous aussi l’âme d’un chercheur infatigable !

Le plus beau titre

#monaventlitteraire2020, jour 21 : suis enfin à jour du calendrier!

Que dire de plus ? J’aime ce titre, un des plus beaux et des plus simples qui soit.

C’est (encore) une histoire de retraite mais pas en Sibérie comme Dans les forêts de Sibérie…avec Sylvain Tesson (le héros que j’aurais aimé rencontrer) mais cette fois au Japon.

Un peintre se retire dans une auberge de montagne dans une station thermale désertée, en que d’impassibilité et d’inspiration. Il aspire au repos, et c’est sans doute pour ça aussi que j’y repense en cette fin décembre, après cette année épuisante alors que je suis de nouveau dans ma maison des cimes, elle aussi au-dessus d’une station thermale sans curistes, sans skieurs, virus oblige…

Poète à ses heures, le peintre aime composer des haïkus qui capturent en dix-sept syllabes l’impermanence des choses et le sentiment du wabi que j’ai évoqué il ya longtemps ici : W comme Wabi sabi.

Le livre est empli de réflexions profondes écrites il y a plus d’un siècle et qui font singulièrement écho à notre monde en 2020. Voici un premier passage sur nos vies prisonnières dont vous apprécierez la modernité :

La civilisation, de nos jours, vous donne un terrain de telle ou telle superficie en vous disant d’y dormir ou de rester éveillé, à votre guise. Puis elle installe un grillage autour du terrain qu’elle vous a alloué et vous interdit de le franchir sous peine de représailles. C’est le propre de l’homme de vouloir se déplacer en toute liberté dans l’espace dont il dispose, mais il veut bénéficier de la même liberté au-delà des grilles. Les misérables peuples civilisés vivent du matin au soir en hurlant et en se brisant les dents à leurs grillages. La civilisation donne la liberté à l’individu, puis, au nom de la paix sociale, fait de lui un tigre pris au piège. Cette paix n’est pas une paix authentique. C’est la paix du tigre au jardin d’acclimatation fixant les visiteurs d’un œil rancunier tandis qu’il s’étire pour leur plus grand plaisir. Si un seul barreau de la cage se brisait, ce serait le chaos.

Et pour finir ce bel extrait qui nous parle du rôle ESSENTIEL de l’artiste :

 » C’est le poème, c’est le tableau qui libère le monde des vicissitudes et rend l’univers digne d’être aimé. C’est la musique, c’est la sculpture. On pourrait aller jusqu’à dire qu’il n’est pas nécessaire de récréer le monde. Il suffit de regarder autour de soi pour que vive le poème, pour que jaillisse le chant. »

Dans les forêts de Sibérie…avec Sylvain Tesson (le héros que j’aurais aimé rencontrer)

#monaventlitteraire2020, Jour 20 : le livre dont j’aurais aimé rencontrer le héros

Le héros c’est Sylvain Tesson lui-même qui nous embarque dans une cabane sur les bords du Lac Baïkal. Tesson a tenu ce carnet d’ermitage pendant les six mois qu’il a passé dans une de ces cabanes forestières et météorologiques qui parsèment l’immense territoire de la Sibérie.

J’ai beaucoup aimé le récit de ces mois en compagnie de deux chiots, de livres, de thé et de vodka. Sylvain Tesson fait régulièrement des excursions dans la nature immaculée à pied, en patins à glace ou en kayak. Il pèche, coupe du bois, et se réfugie ensuite dans sa cabane pour écrire ses pensées, souvent des aphorismes lumineux sur l’amour, la solitude, les effets de ces heures coupées du monde et du fracas de la vie parisienne. Ou tout simplement pour faire à manger:

« Le soir, je fais du pain. Je pétris longtemps la pâte« . 

Ce Robinson moderne a emporté avec lui 67 livres et il en émaille de citations son journal. Un va et vient s’installe entre ses lectures et la vue de sa fenêtre qui change avec les saisons.

« Usage de la fenêtre : inviter la beauté à entrer et laisser l’inspiration sortir. »

Il ne se passe pas grand chose mais j’aurais aimé partager un thé et quelques lectures avec ce « héros-mancier ». Il me reste à lire « La panthère des neiges » où j’espère retrouver un peu cette ambiance au travers de l’expédition au Tibet qui est le décor de ce nouveau récit.