Les Graciées / The Mercies

C’est la nuit du solstice de l’an 1617 sur l’île de Vardø, dans le comté de Finnmark à l’extrême Nord de la Norvège. Maren, vingt ans, vit sur cette île. Elle fait un rêve prémonitoire dans lequel elle se sauve de la noyade accrochée au ventre d’une baleine. Pendant la même nuit, une tempête d’une extrême violence ravage le port de Vardø et emporte tous les hommes de l’île partis pêcher.

Les Graciées est un roman de la jeune auteur britannique Kiran Millwood Hargrave que j’ai plaisir à rajouter à ma Ma petite bibliothèque boréale, 1ère partie. et qui était tout en haut de Ma « PAL » pour 2021.

Les « Graciées » sont toutes les femmes restées à terre et que la tempête a épargnées : il y a Maren, bien-sûr, qui a perdu son père, son frère et son promis dans le naufrage. Elle vit avec sa mère et sa belle-soeur, l’étrange Dinna , une Saami, qui avait épousé Erik, le frère de Maren. Et bien d’autres femmes qui se rangent en deux catégories : celles qui prennent les choses en main, enfilent les pantalons de marin, et celles qui prient… Le seul homme sur l’île c’est le pasteur, un petit homme sans charisme qui rassemble tant bien que mal ces femmes une fois par semaine pour l’office.

Quand au bout de trois jours la mer rend les corps de tous les noyés, Vardø est plongé dans l’hiver polaire. Impossible d’enterrer les hommes, il faut juste déposer les dépouilles dans une des maisons en attendant que la terre soit de nouveau assez meuble pour creuser des tombes. Dans cette saison qui s’éternise, des divisions profondes apparaissent entre celles qui veulent un enterrement chrétien et celles qui suivent des rituels saami.

Cette terre reculée n ‘appartient vraiment ni à la Norvège ni aux Saami, plus connus sous le nom étranger et péjoratif de « Lapons  » (qui signifie « vêtus de haillons en suédois…) les rites chamaniques sont fréquents, et on en retrouve des traces sur les murs ou à l’intérieur des maisons: runes, statuettes d’os, broderies de symboles cachés dans les doublures des vêtements...

C’est pour éradiquer toute cette « sorcellerie » qu’est nommé le délégué Absalom Cornet venu d’Ecosse où il est connu pour avoir érigé un grand nombre de bûchers et torturé beaucoup de femmes « impies ». Mais sa réputation là-bas est bien gardée et ignorée de tous sur l’île, y compris de sa femme, Ursula, qu’il a trouvée à Bergen juste avant d’embarquer pour Vardø. Ursa est jeune et innocente: éduquée dans le confort bourgeois de Bergen, elle ne sait rien ni des hommes ni des tâches qui incombent aux femmes au foyer.

Ce qu’il y a de plus poignant et réussi c’est le récit de la rencontre des deux jeunes femmes, Maren et Ursa. Ursa va tout apprendre de Maren: comment coudre un manteau avec des peaux de rennes, comment découper les carcasses, faire du feu, du pain … Au gré de ces tâches partagées, avec beaucoup de pudeur et de lenteur Kiran Millwood Hargrave nous dévoile les sentiments qu’elles vont éprouver l’une pour l’autre, à leur grande surprise. La description des paysages désolés de l’île en hiver, et de l’éclosion du printemps sur la lande m’a aussi transportée, loin, bien loin.

Ce qui rajoute au tragique de ce premier roman pour adultes ( Hargrave est plus connue dans la littérature enfantine) c’est qu‘il est en partie historique : la tempête a vraiment eu lieu dans les années 1620 et a bien décimé les hommes de l’île, et la chasse aux sorcières a été d’autant plus sévère que ces terres lointaines échappaient au contrôle de Copenhague, laissant libre court à la cruauté et au fanatisme des hommes de dieu qui y étaient envoyés en « mission ». Ici, comme dans d’autres contrées septentrionales ou équatoriales, des peuples ont été massacrés à cause de leur culture, de leurs rites et de leurs croyances.

En 2012, l’artiste Louise Bourgeois et l’architecte Peter Zumthor ont installé à Vardø le Mémorial de Steilneset en hommage aux victimes: 91 personnes, hommes et femmes, sont morts sur le bûcher de l’île au 17ème siècle.

Le Mémorial

Titre: Les Graciées (The Mercies)

Auteur: Kiran Millwood Hargrave

Traduction : Sarah Tardy

Editeur : Robert Laffont

Parution: 2020

Publié par

lapoudredestampette

La gravure représente la dernière étape en date de mon parcours artistique, après un long détour par la peinture à l’huile, l’acrylique et le collage. Depuis une dizaine d'années, je travaille l’estampe et ses nombreuses techniques d’impression à L’Atelier de la Main Gauche à Toulouse. Ce lieu encourage la pratique d’une gravure propre où l’emploi de produits toxiques est réduit au maximum. Je m’intéresse aussi à d'autres techniques d'impression comme le cyanotype, procédé photographique ancien.

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