
Après une semaine à me ressourcer en montagne, à fouler les feuilles dans les sentiers, à chercher et expérimenter à l’atelier une nouvelle piste s’est ouverte à moi ce matin. Nouvelle et ancienne à la fois puisqu’elle me ramène sur les traces de Proust…
Dans mes derniers essais de cyanotype, j’ai mélangé herbier et photos d’enfance. Les tirages ressemblent un peu à des pellicules de film , des projections un peu floues, et les passages où Proust évoque la » lanterne magique » me sont revenus d’un coup.
En voici un extrait:
A Combray, tous les jours dès la fin de l’après-midi, longtemps avant le moment où il faudrait me mettre au lit et rester, sans dormir, loin de ma mère et de ma grand’mère, ma chambre à coucher redevenait le point fixe et douloureux de mes préoccupations. On avait bien inventé, pour me distraire les soirs où on me trouvait l’air trop malheureux, de me donner une lanterne magique, dont, en attendant l’heure du dîner, on coiffait ma lampe ; et, à l’instar des premiers architectes et maîtres verriers de l’âge gothique, elle substituait à l’opacité des murs d’impalpables irisations, de surnaturelles apparitions multicolores, où des légendes étaient dépeintes comme dans un vitrail vacillant et momentané. Mais ma tristesse n’en était qu’accrue, parce que rien que le changement d’éclairage détruisait l’habitude que j’avais de ma chambre et grâce à quoi, sauf le supplice du coucher, elle m’était devenue supportable. «
Et une « illustration » et explication trouvées sur le site de la BNF: http://expositions.bnf.fr/proust/grand/7-5.htm
J’ai alors repensé aux passages dans Du côté de chez Swann, magnifiques, baignés de bleus, dans la petite église de Combray. Je ne résiste pas au plaisir de les partager ici:
Que je l’aimais, que je la revois bien, notre Eglise…/… Ses vitraux ne chatoyaient jamais tant que les jours où le soleil se montrait peu, de sorte que, fît-il gris dehors, on était sûr qu’il ferait beau dans l’église(…) Il y en avait un qui était un haut compartiment divisé en une centaine de petits vitraux rectangulaires où dominait le bleu, comme un grand jeu de cartes pareil à ceux qui devaient distraire le roi Charles VI; mais soit qu’un rayon eût brillé, soit que mon regard en bougeant eût promené à travers la verrière tour à tour éteinte et rallumée, un mouvant et précieux incendie, l’instant d’après elle avait pris l’éclat changeant d’une traîne de paon, puis elle tremblait et ondulait en une pluie flamboyante et fantastique qui dégouttait du haut de la voûte sombre et rocheuse, le long des parois humides, comme si c’était dans la nef de quelque grotte irisée de sinueux stalactites que je suivais mes parents, qui portaient leur paroissien; un instant après les petits vitraux en losange avaient pris la transparence profonde, l’infrangible dureté de saphirs qui eussent été juxtaposés sur quelque immense pectoral, mais derrière lesquels on sentait, plus aimé que toutes ces richesses, un sourire momentané de soleil; il était aussi reconnaissable dans le flot bleu et doux dont il baignait les pierreries que sur le pavé de la place ou la paille du marché; et, même à nos premiers dimanches quand nous étions arrivés avant Pâques, il me consolait que la terre fût encore nue et noire, en faisant épanouir, comme en un printemps historique et qui datait des successeurs de saint Louis, ce tapis éblouissant et doré de myosotis en verre. «
Autant vous dire que si je me replonge dans les volumes de La Recherche, je ne suis pas prête d’abandonner le bleu des cyanotypes…