Quand le livre des nuits rejoint le bonheur des jours… La neige est tombée en abondance et nous avons chaussé les raquettes pour aller redécouvrir les prés alentours, maintenant que le blanc a tout métamorphosé. Hier soir, je continuais la lecture du journal que Sylvain Tesson a rédigé entre février et juillet 2010.
2eme extrait de « Dans les forêts de Sibérie », que je partage avec vous avec grand plaisir.
« Chaque après-midi, je chausse mes raquettes. Une heure et demie de marche dans la forêt pour atteindre la lisière supérieure des arbres.
J’aime entrer dans le bois. Derrière l’orée, les sons s’atténuent. Lorsque je pénètre sous la voûte d’une cathédrale gothique, en France ou en Belgique, j’éprouve le même engourdissement. Une douceur dans l’être qui alourdit les paupières et diffuse sa tiédeur derrière l’os frontal. Quelque chose réagit en moi au rayonnement de la pierre calcaire comme au rayonnement des résineux. A présent, je préfère les futaies aux nefs de pierre.
Sous les arbres, neige profonde. Le vent ne la balaie jamais. Malgré les raquettes, je m’enfonce. Les lynx, les loups, les renards et les visons circulent dans la nuit. La tragédie sauvage se lit dans les empreintes. Certaines sont perlées de sang. Elles sont les paroles de la forêt. Les bêtes ne s’enfoncent pas. La surface de leurs pieds est proportionnée à leur poids. L’homme est trop lourd pour aller sur la neige. Parfois, le cri des geais, et sinon le silence. Ils le lancent, du sommet d’un sapin, sentinelles de plume sur une tour d’aiguille. Ils crient parce que je pénètre chez eux. Personne ne demande jamais aux bêtes la permission de traverser leur domaine.
Le lichen pend aux arbres. J’ai lu un conte, il y a longtemps, où l’auteur imaginait un dieu errant dans les sous-bois : son manteau s’accrochait aux branches des arbres et les lambeaux devenaient le lichen.
La tristesse des pins: ils ont l’air d’avoir froid. (…)Quelques mélèzes subsistent au-delà de la frontière forestière. Ils poussent isolés et leurs branches contournées se détachent sur le fond lapis du lac, étoilé de fractures. L’or des branches, le bleu du lac, le blanc des fractures de glace : palette d’Hokusai. »