Au cimetière sans GPS…

C’est la saison des chrysanthèmes . Faisons d’une pierre deux coups, déclarais-je hier en gloussant: visite à une bonne amie, suivie d’un passage sur la pierre tombale de mes aïeux.

Comme à chaque fois dans les cimetières, je suis frappée d’amnésie et incapable de retrouver la tombe que je cherche. J’y pense les jours qui précède, j’essaie de refaire mentalement le trajet de l’entrée à la tombe, et souvent j’y parviens. Rassurée d’avoir ainsi préparé  » l’itinéraire », le jour J, je me dirige vers la porte en confiance. Souvent je suis seule. Cette fois, ma fille m’accompagne. Elle a l’âge aujourd’hui que j’avais quand mes grands-parents sont morts. Chacune flanquée d’une grosse potée de fleurs, nous avançons vers la rangée que je pense être la bonne. Quelque chose dans la configuration des lieux a changé et me trouble. La dernière rangée est laissée à l’abandon, des tombes délabrées, en ruine : non, ça ne peut pas être là!

Demi-tour, retour vers l’entrée, passage en revue des 2 allées adjacentes. Le trouble grandit : je superpose la lecture de la carte de mon GPS (Grave Perte de Synapses) munie de quelques repères bien flous – la porte, l’allée, le mur, une tombe à peu près dans l’angle de ce mur – et ma vision réelle des lieux : vision de myope de plus en plus mal à l’aise à l’idée de ne pas retrouver la tombe.

Nous faisons une halte au hasard sur une tombe, histoire de réfléchir. Et si j’appelais maman? Peut-être saurait-elle à distance me guider vers la tombe de ses parents? Je compose le numéro, penaude. Je sais que cet appel va nous mettre elle et moi dans l’embarras. Elle m’aidera probablement pas à me repérer sans être sur place, ou je n’arriverai pas à comprendre et suivre ses instructions. Une sonnerie, deux , trois: messagerie. L’angoisse fait place au malaise. Cette messagerie me plonge brusquement dans l’idée qu’un jour elle aussi sera aux abonnés absents et qu’alors, personne, plus personne ne me guidera. Je me mets à penser à ce mythe grec qui met en scène Orphée, Hadès, Cerbère, Perséphone et Eurydice mais ma mémoire se brouille et je ne sais plus qui est qui dans cette histoire.

Bref, ça se complique, et ce n’est pas en digressant qu’on retrouve son chemin. Je range mon téléphone et tente de reprendre la situation en main car je vois bien que ma fille a perçu mon angoisse et commence à être mal à l’aise elle aussi.

« Je vais demander à la dame là-bas qui s’occupe de l’entretien du cimetière ». Nous l’avons croisé en entrant et avions échangé un sourire. Le sien était franc et plein de gentillesse. Le mien était confiant, léger: je croyais encore savoir où j’allais.

Elle me demande le nom de famille, m’avoue son ignorance car elle ne travaille ici que depuis trois ans. Une dame âgée me questionne, me fait répéter le nom. Une lumière s’allume dans son regard, je me dis qu’elle connaît cette tombe. Non, elle se souvient de cette famille, ils avaient une boutique de graines et de fleurs dans le village, non? J’hésite, euh oui, maintenant que vous le dites. C’était de lointains cousins. En attendant, je me sens de plus en plus empotée avec ma gerbe dans les bras. L’autre dame sort une carte maîtresse: il y a un plan des lieux sur le mur de l’église. Ragaillardies nous la suivons mais l’espoir est de courte durée: le plan ne comporte que des numéros et pas de noms, bien-sûr.

Je lui dis alors que je suis un peu perdue car il me semble que la configuration a changé: les tombes anciennes sont à l’abandon, une nouvelle partie a été ajoutée. Et oui, la famille des morts d’ici s’est agrandie, il a fallu pousser les murs et bouger les morts. Ce bavardage pourtant me conforte dans l’idée que je cherche dans la bonne zone. Elle me confirme que je suis bien dans la partie ancienne et je repars avec mes petits repères: la porte, le mur, l’angle. Et si c’était plutôt cette porte-là à côté de l’église? Oui, ça doit être ça. Dernière question: est-ce qu’il y a quand même une allée derrière l’allée principale car je crois me souvenir… « Une allée, oui, enfin, comme ci, comme ça, il faut parfois un peu contourner des tombes , ce n’est pas en ligne droite ».

Nous remontons donc , nom après nom, cette non -allée et après une dizaine de tombes je m’écrie : « Je les ai trouvés ! » La dame m’adresse encore un sourire plein de bonté et répond  » Je suis contente pour vous.  » Mon cri résonne bizarrement, ma voix était aiguë, singulièrement jeune et joyeuse, une voix d’enfant qui aurait retrouvé sa poupée préférée.

De fait, aucune tristesse ne me saisit devant leur tombe. Juste un peu d’étonnement à la vue des dates gravées. Quoi, déjà ? 35 ans ! Les prénoms aussi surprennent ma fille : elle porte celui de ma grand-mère, et mon grand-père maternel a le même que celui de son grand-père paternel. Quant à moi, je reconnais mon deuxième prénom dans celui de cet oncle mort 3 ans avant ma naissance.

Avant de partir, je fais la mise à jour de mon « GPS « et rajoute quelques coordonnées visuelles plus précises, pour la prochaine fois. Donc, la tombe est bien contre le mur d’enceinte. A sa gauche, dans la rue, un poteau d’éclairage. Et au loin, en droite ligne, la façade du restaurant « Les Minotiers ». Ma fille a le mot de la fin:  » ça ne m’étonne pas qu’il soient face au resto, on a toujours été des bons vivants « . Je trouve la formule délicieuse pour parler d’aïeux morts depuis si longtemps qu’elle ne les a pas connus.

Un pot pour chacun de chaque côté de la pierre, et nous voilà parties, le pas rapide et léger. Déjà, quand nous croisons à nouveau la dame à la sortie, nous avons repris nos voix et nos esprits, et nous parlons de l’humour noir en bons vivants que nous sommes. Mais la dame n’est pas dupe et entend encore ma petite voix qui résonne dans les lieux:  » Je les ai retrouvés !

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lapoudredestampette

La gravure représente la dernière étape en date de mon parcours artistique, après un long détour par la peinture à l’huile, l’acrylique et le collage. Depuis une dizaine d'années, je travaille l’estampe et ses nombreuses techniques d’impression à L’Atelier de la Main Gauche à Toulouse. Ce lieu encourage la pratique d’une gravure propre où l’emploi de produits toxiques est réduit au maximum. Je m’intéresse aussi à d'autres techniques d'impression comme le cyanotype, procédé photographique ancien.

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