La mémoire des mains, I

Cela faisait trois ans déjà que je patouillais dans l’encre typographique, que je m’enivrais de son odeur,  la malaxait, la laissait s’incruster sous mes ongles. Je sentais confusément que j’avais déjà fait ça, comme dans une autre vie. Sensation de déjà-vu quand je centre la plaque de zinc sur le papier. Et puis ce fourmillement dans les mains quand je fais tourner la roue de la presse, cette impatience au moment de soulever les langes, ce petit bonheur à chaque fois que je retourne la feuille imprimée.

L’autre jour, en voiture distraitement j’écoute une émission qui parle de la méthode Freinet. Du rôle central de l’imprimerie dans les petites classes….

Et un jeudi, enfin, j’entends Bilitis, ma prof de gravure donner des renseignements à quelqu’un qui vient d’entrer dans l’atelier… : « Vous voyez, ce sont des techniques d’impression…La gravure est l’ancêtre de l’imprimerie en somme. »

En somme, oui. Et dans ma tête s’additionnent, carillonnent ces mots :Freinet+imprimerie+gravure= pourquoi je suis là…

ecole-marcel-guerret-1971

(Non, non ce n’est pas moi dans le cercle vert…où suis-je? Un indice? Mes vêtements avaient un air British, et je ne touchais pas terre!)

1971, Montauban. Ecole annexe d’application Marcel Guerret. Au fond du couloir, large, bien éclairé, une table d’imprimerie. Sur la gauche, des salles de classe. Au fond à gauche, ma classe. Je fais des vas et viens entre mon petit bureau et le matériel d’imprimerie: une multitude de caractères en métal, de toutes tailles, avec toutes les lettres, les chiffres, les signes de ponctuation. Préparer son texte sur une réglette, choisir chaque signe, penser au message…le créer de toute pièce puis l’imprimer. Magie du mot, bonheur de la manipulation, premières connections. Mes doigts parlent à ma tête. J’ai 5 ans, et cette école-là c’est mon nouvel univers, ma caravelle…

Publié par

lapoudredestampette

La gravure représente la dernière étape en date de mon parcours artistique, après un long détour par la peinture à l’huile, l’acrylique et le collage. Depuis une dizaine d'années, je travaille l’estampe et ses nombreuses techniques d’impression à L’Atelier de la Main Gauche à Toulouse. Ce lieu encourage la pratique d’une gravure propre où l’emploi de produits toxiques est réduit au maximum. Je m’intéresse aussi à d'autres techniques d'impression comme le cyanotype, procédé photographique ancien.

2 réflexions au sujet de “La mémoire des mains, I”

  1. j’aime beaucoup la réflexion sur la mémoire des mains, les liens qui s’installent entre le cerveau et l’activité manuelle, ça me rappelle l’autoportrait en allégorie de la peinture d’Artémisia Gentileschi qui s’est représentée le front très découvert, les cheveux tirés en arrière, la poitrine découverte elle aussi, et sa main tenant le pinceau devant ses yeux : tout ce qui fait un(e) artiste (mot gentiment unisexe)

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire